
Dans tout système de santé, même le plus développé, existent des angles morts. Des populations qui tombent entre les mailles du filet, pour lesquelles aucune structure n’est adaptée. On les voit mal, on préfère détourner le regard, on espère vaguement que quelqu’un d’autre s’en occupera. Parmi ces invisibles : les enfants lourdement handicapés qui ont besoin de soins dentaires.
Les patients qu’on refuse sans le dire
Aucun dentiste n’affiche sur sa porte « Je ne soigne pas les autistes » ou « Les trisomiques ne sont pas les bienvenus ». Ce serait illégal et moralement inacceptable. Pourtant, le refus se pratique quotidiennement, par des moyens détournés. L’agenda est mystérieusement toujours plein. Le praticien explique avec regret qu’il n’a pas la formation adéquate. Le cabinet n’est pas équipé pour ce type de patients.
Ces refus déguisés ne relèvent pas nécessairement de la malveillance. Beaucoup de dentistes se sentent sincèrement incompétents face à un enfant autiste qui hurle au moindre contact, un trisomique qui ne comprend pas les consignes, un polyhandicapé qu’on ne peut installer sur le fauteuil standard. La formation initiale ne prépare pas à ces situations complexes.
S’ajoute une réalité économique brutale. Soigner un enfant handicapé peux prendre trois à quatre fois plus de temps qu’un patient standard. Il faut apprivoiser, rassurer, adapter chaque geste, parfois endormir. Or les tarifs conventionnés ne tiennent pas compte de ce temps supplémentaire. Économiquement, ces patients sont déficitaires pour un cabinet libéral classique.
Le résultat ? Des milliers d’enfants handicapés grandissent avec des caries non soignées, des douleurs chroniques, des infections dentaires qui dégradent leur santé générale. Leurs parents enchaînent les refus polis, perdent espoir, finissent par renoncer. Le handicap initial se double d’un abandon sanitaire.
L’exclusion par l’inadaptation des structures
Les hôpitaux possèdent des services de soins dentaires sous anesthésie générale pour les cas extrêmes. Mais mobiliser un bloc opératoire, une équipe d’anesthésistes, pour soigner quelques caries représente un coût démesuré et une lourdeur organisationnelle qui limite drastiquement le nombre d’interventions possibles.
Les cabinets dentaires classiques ne sont pas conçus pour accueillir des fauteuils roulants. Les salles d’attente sont trop petites, les couloirs trop étroits, les sanitaires inaccessibles. L’environnement lumineux et sonore – néons agressifs, bruit de la fraise – terrifie les enfants autistes hypersensibles.
Cette inadaptation structurelle crée une barrière invisible mais infranchissable. On ne refuse pas explicitement ces patients, mais on rend leur venue pratiquement impossible. C’est une forme d’exclusion douce, polie, qui permet de maintenir bonne conscience tout en ne changeant rien au problème.
Les familles concernées connaissent bien cette gymnastique épuisante. Téléphoner à quinze cabinets pour trouver un praticien qui accepte. Préparer l’enfant pendant des semaines. Annuler au dernier moment parce que l’enfant est trop angoissé. Recommencer. Abandonner. Vivre avec la culpabilité de ne pas avoir su faire soigner son enfant.

Créer ce qui manque : l’évidence et l’audace
Face à un besoin non couvert, deux attitudes sont possibles. La première : déplorer, critiquer le système, attendre que les pouvoirs publics créent une structure adaptée. La seconde : créer soi-même cette structure. La première attitude est confortable. La seconde change le monde.
Créer un cabinet dentaire spécialisé dans les patients à besoins spécifiques représente un projet complexe. Il faut des locaux adaptés avec des accès pour fauteuils roulants, un ascenseur, des sanitaires aux normes PMR. Il faut un environnement accueillant, joyeux… Il faut du matériel spécifique, une formation au handicap sous ses différentes formes, une organisation qui permette des rendez-vous longs. Il faut convaincre des financeurs, négocier avec l’Assurance Maladie, obtenir les autorisations administratives.
Mais surtout, il faut une conviction inébranlable que c’est possible. Que le manque d’une telle structure ne relève pas d’une fatalité technique ou d’une impossibilité économique, mais simplement du fait que personne ne l’a encore fait. Cette conviction transforme l’obstacle insurmontable en défi stimulant.
L’audace ne consiste pas à nier les difficultés, mais à refuser qu’elles deviennent des excuses pour l’inaction. Oui, c’est compliqué. Oui, c’est long. Oui, c’est incertain. Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour abandonner des milliers d’enfants à la souffrance dentaire ?
La dimension unique : pionnier en France
Créer le premier cabinet dentaire de France entièrement dédié aux patients handicapés porte une responsabilité particulière. Il n’existe pas de modèle à copier, pas de manuel de procédures, pas de retour d’expérience. Chaque protocole doit être inventé, testé, ajusté. Chaque erreur devient un apprentissage pour éviter de la reproduire.
Cette position de pionnier attire l’attention médiatique et institutionnelle. Les journaux locaux parlent de cette initiative inédite, les associations de parents relaient l’information, les organismes de santé observent avec curiosité. Cette visibilité aide à faire connaître la structure, mais crée aussi une pression : il faut réussir, prouver que le modèle est viable.
Le statut unique génère également une demande qui dépasse rapidement les capacités d’accueil. Quand vous êtes le seul à proposer un service, vous recevez des demandes de toute la région, voire du pays entier. Gérer cette affluence sans décevoir trop de familles devient un casse-tête permanent.
Mais cette unicité porte aussi un message politique fort : si c’est possible ici, pourquoi pas ailleurs ? Un cabinet spécialisé devrait exister dans chaque département, chaque région. Le pionnier démontre la faisabilité et ouvre la voie aux suivants.
Former, adapter, inventer
Soigner un enfant autiste n’exige pas seulement des compétences techniques dentaires. Il faut comprendre l’hypersensibilité sensorielle, les rituels apaisants, la communication non-verbale. Il faut apprendre à lire les signes de détresse chez un enfant qui ne parle pas. Il faut inventer des protocoles d’apprivoisement progressif.
Cette expertise spécifique se construit par la pratique, l’observation, l’échange avec les familles et les éducateurs spécialisés. Elle transforme le praticien qui l’acquiert. On ne soigne plus seulement des dents, on prend soin de personnes entières, avec leur histoire, leurs peurs, leurs besoins particuliers.
Cette approche globale du soin devrait d’ailleurs s’appliquer à tous les patients, handicapés ou non. La médecine moderne, hyperspécialisée et technicisée, a parfois oublié cette dimension humaine. Réapprendre à soigner la personne plutôt que l’organe constitue un retour à l’essence même du soin.
Conclusion : de l’impossible au possible
L’histoire des avancées sociales se résume souvent à cette formule : hier impossible, aujourd’hui exceptionnel, demain banal. Le premier cabinet dentaire pour handicapés semble aujourd’hui une initiative extraordinaire. Dans vingt ans, on s’étonnera qu’il n’y en ait pas un dans chaque ville.
Cette banalisation souhaitable transforme l’exploit en norme, l’exception en standard. C’est le propre des pionniers que de défricher un chemin que d’autres emprunteront ensuite massivement. Leur mérite ne réside pas dans leur génie particulier mais dans leur refus d’accepter l’inacceptable.
C’est un peu ce que l’on peut conclure, aussi, de l’évocation de ce cabinet dentaire unique en France que l’on découvre dans le livre Parce que c’est possible… : deux dentistes, Laurence et Sandra, qui constatent qu’aucune structure n’accueille correctement le handicap, les enfants autistes, trisomiques, polyhandicapés, et qui décident de créer un cabinet entièrement dédié à ces patients que personne ne veut soigner. Accès handicapés, temps de consultation adaptés, personnel formé aux différents handicaps, approche bienveillante qui transforme la terreur en confiance. Preuve que ce qui manquait n’était pas impossible, juste pas encore réalisé.
Thèmes abordés
cabinet dentaire spécialisé, handicap, enfants handicapés, autisme, trisomie, polyhandicap, soins dentaires adaptés, accessibilité, discrimination médicale, refus de soins, patients à besoins spécifiques, personnes en situation de handicap, inclusion, structure médicale adaptée, fauteuil roulant, accès PMR, hypersensibilité sensorielle, protocole adapté, formation spécialisée, bienveillance, accompagnement personnalisé, innovation médicale, pionnier, unique en France, santé bucco-dentaire, exclusion sanitaire, dignité, reconnaissance, compétence professionnelle, mixité, approche globale du soin
Autres articles sur le même sujet
Faire de l’impossible un tremplin…
Résilience et isolement : la solitude forge la force
Résilience … Se révolter pour exister : éloge d’une colère féconde
Un récit vrai, intime, illuminé de courage et d’espoir.
Les bébés anonymes…
Parce que c’est possible !
Mes autres livres…
Dans le site, vous pouvez lire le descriptif de tous mes livres insolites, ou les trouver directement dans Amazon :
Recettes et fables de nos terroirs
Le Maine-et-Loire insolite (réédition 2025)
Le Berry insolite
Les fables d’orthographe (réédition 2025)
Parce que c’est possible !
50 musées extraordinaires
les Deux-Sèvres insolites

Commentaires